C’était un matin ordinaire, un matin d’hiver.
« JaeHwan, rentre à la maison ! Tu vas encore tomber malade ! »C’était encore maman qui voulait me donner des ordres. Je ne comprenais pas pourquoi elle s’obstinait à vouloir être ma mère. A chaque fois que j’essayais de l’approcher, elle s’enfuyait ou sursautait. J’ai l’impression d’être un monstre, de ne pas être son fils. Je vois tout le temps les autres garçons prendre leur maman dans les bras. Moi je peux pas. Et en plus mon père me fout une baffe à chaque fois que je l’approche de trop. Je ne comprends pas.
Ce que je sais, c’est que je ne voulais pas rentrer à la maison. Ca faisait longtemps que je n’avais pas vu la neige, et on voulait m’enlever ce plaisir. Je savais très bien que maman n’allait pas s’aventurer dehors sous cette tempête pour venir me chercher, alors je ne revenais pas et je restais là debout au milieu du jardin à tourner alors que les flocons commençaient à être de plus en plus gros. Je ne suis pas fou, j’avais une écharpe, un bonnet, des gants. Mais même si je commençais à être frigorifié, j’étais mieux là qu’ailleurs. Je sentais déjà Papa qui allait s’énerver, alors autant retarder au maximum la punition.
J’ouvris la bouche pour manger un flocon. Mais je sentis comme une pression sur mon bras. Je l’avais pas vu arriver, je n’avais pas prédit sa main sur ma joue. Encore une fois, il ne m’avait pas loupé. Je n’avais donc pas le droit d’être tranquille. Dans le jardin d’à côté, le garçon était pourtant en train de s’amuser avec toute sa famille sous la neige. Et moi c’est tout ce que je récoltais. Ca m’énervait, je n’en pouvais plus de cet enfoiré qui m’empêchait de grandir comme je voulais. Je commençai à me débattre, puis j’écrasai le pied de mon père. Il me lâcha et je me mis à courir. Je ne sais pas où j’allais, mais j’étais sûr que j’y allais. Je ne voulais pas m’arrêter, je ne voulais pas non plus me retourner pour voir si mon père me poursuivait. Il était rapide lui aussi, à peu près autant que moi. Je n’étais qu’un enfant et lui se faisait vieux, alors au fond, c’était équivalent. Malgré nos ressemblances, je n’ai jamais pu le porter dans mon cœur. En fait, je n’aime personne, tout simplement parce que personne ne m’aime.
Ma course se termina lorsque j’arrivai au bout de la jetée. Je vis dans une petite ville portuaire, tout ce qu’il y avait désormais, c’était la mer. Je crois que la natation est mon point faible et pourtant, je pratique tout un tas de sport. Peut-être parce que malgré moi, je n’arrive pas à m’offrir toute la liberté que j’espère. La mer, c’est un synonyme de liberté. Et pourtant, là je suis prisonnier de mon destin. Et mon père m’avait déjà rattrapé. Il me souleva du sol, je ne pouvais plus courir. Il avait très bien cerné mes techniques.
« A partir de la semaine prochaine, on t’envoie dans ce pensionnat pour cas difficile dont on avait parlé ! Je ne pensais pas avoir recours à cette solution alors que tu n’as encore que huit ans. T’es vraiment la pire chose qui puisse exister, Im JaeHwan. »Ϟ Ϟ Ϟ
Qu’est-ce qu’il était chiant ce gars. Incapable de se défendre et de s’affirmer. En fait, je ne sais pas ce qu’il fout dans ce pensionnat. Et comme si son inutilité n’était pas suffisante, il partage ma chambre et me colle aux basques. Ca doit faire maintenant quatre ans que j’ai été placé dans cette foutue maison, j’en ai marre.
« JaeHwan, relâche ton camarade. C’est pas en prenant ce chemin que tu vas sortir d’ici. »Qu’est-ce qu’elle me voulait elle ? Il n’y avait rien de convaincant dans ses propos. Elle était comme ma mère, elle avait peur de moi. Aujourd’hui je suis devenu vraiment violent et méchant. La faute à qui ? A ce père qui a préféré confier mon éducation a des gens qui doivent élever un troupeau de gosse. Et c’est pour ça qu’au bout de cette corde, que je tiens du mieux que je peux, est accroché l’abruti qui me sert de colocataire.
« Vous voulez vraiment que je le relâche ? »Elle ne savait pas ce qu’elle disait. Si je le lâchais, il allait s’écraser contre le sol : mauvais plan. Mais elle n’avait pas l’air d’être en mesure de réfléchir à ce détail, et c’était plutôt amusant. Bizarrement personne n’avait l’air de vouloir monter les escaliers pour m’empêcher de faire ma connerie, et personne ne semblait assez courageux pour tenter d’attraper ce gosse. On vit dans un monde de lâche, que voulez-vous.
Je commençai à lâcher un peu ma corde, juste histoire de réduire la hauteur de la chute. Je ne suis pas mauvais à ce point, n’abusez pas. Et je voyais sur le visage de la responsable de dortoir qu’elle ne semblait pas si ravie finalement que je sois décidé à le relâcher. Je laissait glisser la corde par à-coup histoire de bien leur mettre la pression. C’était vraiment amusant. Puis lorsque je jugeai qu’il n’y avait plus vraiment de danger pour la vie de l’autre abruti, je lâchai complètement la corde.
« Je n’ai fait qu’obéir à vos ordres ! »Mais là, je savais qu’il valait mieux pour moi de courir. Je riais à gorge déployée. Elle avait l’air au bout du rouleau par ma faute et moi, ça ne faisait que m’amuser. Je courais, encore et encore, jusqu’à arriver dans un cul de sac. Evidemment, c’était le bureau du directeur. J’entendais les pas de la surveillante se rapprocher et j’avais le pressentiment que je m’étais fait avoir en beauté. Je fermai les yeux. Lorsque je les rouvris, le directeur était devant moi, et la jeune femme me tenait par le bras.
« J’allais justement le punir Monsieur le dir…
- Non, laissez moi m’occuper de lui cette fois-ci. »C’en était fini de moi. Je n’avais jamais eu affaire directement avec le directeur.
J’avais vu juste quand je m’étais dit que c’étaient les dernières heures que j’allais passer dans cet établissement, mais je n’avais jamais envisagé que c’était pour cette raison là. Mon père avait contacté le directeur pour annoncer le décès de ma mère. Elle avait toujours été très malade et très fragile, et c’était pour cette raison qu’elle avait toujours préféré se tenir loin de moi. Elle avait peur non seulement pour sa santé, mais surtout pour la mienne. Je ne pouvais pas le comprendre, personne ne m’avait jamais rien dit à moi. Pour mon père, c’était comme évident, j’aurais dû l’apprendre par moi-même et me tenir à carreau. Mais mon hyper activité ne me permettait pas de tenir en place, je manquais cruellement d’espace. Ce n’était pas de l’égoïsme. Non…
J’allais donc quitter cet établissement pour retourner vivre chez mon père qui ne m’a jamais porté dans son cœur. Et je peux vous assurer que ce furent les pires années de ma vie.
Ϟ Ϟ Ϟ
On me prenait pour un fou, j’en étais certain. Depuis mon retour au domicile familial, c'est-à-dire, il y a près de six ans maintenant, j’ai toujours voulu croire que ma mère était encore là quelque part. Ca pouvait paraître absurde dit comme ça, et c’est pour ça que je ne parlais pas de ça à qui que ce soit. De toute façon, je n’avais personne à qui me confier, et je ne voulais adresser la parole à personne.
J’étais dans mon jardin en train de jouer au basket. Heureusement que le sport était là pour occuper ma vie. Je crois que cette passion s’est sur développée à partir de mon retour à la maison. J’ai réussi à faire chanter mon père. Je lui ai promis d’être tranquille à la maison s’il acceptait de m’inscrire dans tous les clubs sportifs que je désirais. Le seul qu’il m’a clairement refusé, c’était la danse. Il n’a jamais compris qu’un homme qui danse ne signifie pas forcément qu’il est homosexuel. Mais ça, c’est mon père, il a des idées reçues et on ne peut pas y changer. Je me suis impressionné durant ces six années, tous les problèmes que j’ai causé, je les ai causés en dehors de la maison. Chez moi, il y avait toujours des altères ou une balle de basket pour me permettre de me défouler.
Cela n’empêche que durant ces six années, j’ai été on ne peut plus violent. Surtout lorsque l’on venait à évoquer le mot « mère ».C’était quelque chose de tabou et la plupart des gens le savait. Mais une fois, parce que je m’étais emporté trop rapidement, j’ai foutu un gars de ma classe dans le coma. Il l’avait cherché. Oser prétendre que je cherchais tous les soirs ma « maman »… Je ne pouvais pas laisser passer ça.
« Bonjour petit ! »Cette voix me fit manquer mon panier. Qui osait m’interpeller comme ça ? Il n’y avait pas de gosses qui trainaient dans le coin vu que c’était l’heure d’aller en cours. J’avais séché, comme d’habitude. Pour le coup, c’était évident que cet homme s’adressait à moi. C’était assez audacieux de m’appeler « petit », et il avait de la chance, j’étais de bonne humeur. Je me retournai après avoir récupéré ma balle.
« C’est à moi que vous parlez ? Nan mais vous m’avez bien regardé sérieux ? »Le vieil homme m’expliqua que pour lui, tous les adolescents étaient petits. Il ajouta également qu’il devait s’entretenir en privé avec moi et il me fit monter dans sa voiture. Je me foutais de tout ce qu’on avait pu me dire plus jeune « ne monte pas dans la voiture d’un inconnu ». Après tout, je savais me battre s’il y avait le moindre soucis. Et j’avais eu raison de ne pas m’en faire. On me parla d’une école qui serait pour moi « une seconde chance ». Au départ, j’étais un peu sceptique mais la suite fut d’autant plus intrigante.
« Je sais que tu veux revoir ta mère.
- Qu’est-ce que t’as dit enfoiré ? »C’était absurde. Je m’étais vite emporté, mais les deux mecs qui étaient assis à côté de moi m’empêchèrent de faire le moindre mouvement brusque. Et c’est là qu’il m’expliqua le but de cette école. Je n’y croyais pas, et je lui avais bien ris au nez. On me fit descendre de la voiture, mais avant de repartir, l’homme me demanda d’y réfléchir.
Je pense que vous avez compris que j’ai finalement accepté son offre. C’était absurde, mais si je pouvais être loin de la maison, ça m’arrangeait. Il y avait un infime espoir pour que je puisse revoir ma mère, mais je voulais y croire. C’était peut-être la seule chose en ce monde qui pouvait confirmer qu’il y avait peut-être un cœur en moi finalement.