La première fois. Bons ou mauvais souvenirs, ils ne périssent pas à travers l'écoulement du temps. C'était sur un prisme de sable aux arrêtes sans âge qu'Euni avait vécu la sienne. D'expérience marine, entendons-nous bien sur le sujet. À cette époque, la pyramide d'une dune au mouillage avait accueilli ses babillages d'enfançonne et coulé le long de ses mains comme un ruisseau dans l'air pour couvrir de sa soie cette étoile au teint clair; au devant, un souffle de sel caressait la rondeur d'une larme d'azur frissonnante sous la plume d'un soleil d'été. Ne souffrant à cet âge d'aucune hésitation, la blonde avait sauté dans cette immense mare qui couvrait le monde entier,
splach ! Riant de sentir le chatouillis incessant des vagues s'écraser sans pitié sur son corps. Elle avait apprécié l'instant où elle avait annoncé à sa famille hilare, comme si ce n'était guère une évidence, que l'eau était salée, tout comme celui où elle avait découvert son premier coquillage en spirale. Avec des rêves à la mesure du mont Baekdu, l'ingénue s'était vue exploratrice des fonds marins, confidente des baleines, égale des sirènes. Hors soudain le ciel de lui rappeler son ascendance et, d'un fil de sa chair, avait brisé en éclats les volutes grisâtres pour que la bouche de feu d'un éclair effrité vienne mourir sur la plage - panique du grand espace, coupant le souffle et faisant batailler les ailes du papillon.
Ploc, ploc, ploc, comme des gouttes acérées les années s'étaient déroulées, éloignant l'angoissée des profondeurs bleutées et de ce goût salé qui avait envahi bouche et nez. Seul remède, que le jour succède au jour, que la neige hivernale fonde pour ramener le printemps à de plus doux sentiments.
Ils avaient été choqués, les parents de la fillette tremblante, quand ce fut une demoiselle faite qui les supplia de lui accorder une chance.
J'y peux marcher, à défaut de couler, si les cieux désirent tant m'éloigner des abysses avait-elle fort justement argumenté afin d'obtenir cette étrange tenue qui serrait à présent son corps fin. Hors de question de faire parader le maillot de l'école sans cours pour le justifier. Glissant une serviette autour d'elle pour mieux l'étriquer à la féminine courbe de ses hanches, Eun Gyo fit la moue en glissant sur le parterre mouillé entourant les bassins; indécis semblait être l'éclat de son regard voguant,
ohé du bateau, air marin, entre passé et futur, champignon et tarte du Wonderland. Grandir ou rétrécir, question existentielle. Suite à la décharge de son poids sur un banc au hasard,
existe-t-il seulement, cet impassible ? intervint son hémisphère gauche, et un rapide passage à la douche, la Saggikun se rapprocha du bord qui donnait sur les profondeurs inexplorées, y rivant son regard d'une mimique angoissée. Faisant hésiter jusqu'au passage du temps dans la profondeur de son soupir, la demoiselle eut néanmoins le bout goût de se demander pourquoi un agile dauphin se trouvait au fond de l'eau. Qui, dans ce monde, avait pu avoir l'idée de l'y amener ? Comment, d'ailleurs ? D'un filet à papillons marins ? Les yeux de biche se plissèrent, la marche se fit assurée dans sa traque, et si l'intéressée manqua de jouer d'une glissade sur quelques mètres ce ne fut qu'en voulant accélérer tant la cible de sa fascination possédait une vitesse infernale. Et tourne, et tourne le manège - il ne fallu pas longtemps pour que la poupée de noir et de blanc vêtue connaisse par cœur la frontière entre terre et mer et se décide, dans sa curiosité, à s'accroupir au bord de l'eau pour observer la silhouette qui y évoluait.
Les particules d'eau se collaient à la peau, regorgeant d'abstraction. Cette sensation de fluidité intrinsèque à chaque atome perpétrait presque mélancoliquement la flottaison passive des neuf premiers mois; en fait, l'imaginaire semblait se bercer dans la pensée pour mieux se concentrer sur la caresse du geste répété. A sa façon, le jeune homme qui nageait paraissait se laisser flotter comme un objet éloigné de tout et jusqu'au désintérêt du quotidien. A regarder le monde à travers ce voile aqueux, pouvait-il constater la beauté du monde et son indifférence face aux couleurs de plus en plus intenses ? D'une poussée,
paf, il se propulsa, fusée dans la nuée d'un espace mouillé, repartant avec force loin de la fine silhouette incapable de détacher son regard étoilé de sa course, les lignes de son corps comme seul horizon. Ce ne fut qu'après un moment passé les doigts dans l'eau qu'un sourire miniature dessina l'hymne à la joie sur le visage de la jeune fille.
Un aller. Un retour. Reviens-moi., pensée dans laquelle le corps se leva souplement, ses doigts fins cédant à l'attraction de ses hanches tandis que d'un froncement de sourcils dénué d'intention l'asiatique lâchait sa voix douce à l'intention du brun de nouveau à ses pieds.
L'étudiante ne criait jamais, ne parlait jamais. Tout au plus ses phrases ressemblaient-elles au chuchotement rafraichissant d'une bise d'été; juste assez aiguë, peut-être, pour qu'on la discerne sans trop tendre l'oreille. Mais si originalité il y avait, celle-ci se trouvait avant tout dans la façon toute particulière dont Euni adressait la parole à son maître dauphin. Plus vague et plus soluble dans l’air, secret volant sur l'onde, sans rien en lui qui pèse ou qui pose; d'un accord brisé à l’osmose qui hante mais jamais n'aborde. Oui. Son chant pour son ainée était différent.
Il est différent. Pourquoi ? Parce que. Certaines questions ne demandaient pas de réponses. Peut-être qu'elles n'en voulaient pas non plus, d'ailleurs; personne ne leur demandait jamais leur avis.
– Attends-moi, je te rejoins~ »
Dans une autre langue, sans doute était-ce un avertissement, vision prismatique d'une pythie oubliée. Quoiqu'il en soit, la principale concernée fut incapable de comprendre comment son plongeon, au demeurant gracieux sur la ligne de départ, devint une chute au ralenti droit vers son professeur privé de natation. Elle se vit, aussi clairement qu'elle le voyait lui, voler dans les airs sur des ailes invisibles, les yeux écarquillés, sans sol sous elle pour se rattraper. D'un éclair de réalité, elle eut même le temps de constater avec une moue paniquée qu'elle allait percuter la surface ondulante de plein fouet, sans espoir de ne pas le sentir. C'était vrai, après tout. Le temps était capricieux. Joueur. Profiteur.
Traître !, hurla-t-elle d'une voix muette alors qu'elle s'enfonçait dans le bleu cristallin sans se découvrir la force de fermer les yeux ni de décrisper les muscles. Son esprit se vida, forma lentement une bulle que son regard écarquillé suivi durant sa lente remontée vers la surface. Une question fugitive s'accrocha dans sa tête, se tortilla sous son nez, la détournant de la préoccupation première de sa main saisissant... Quelque chose. Une cheville, une jambe, un tissu caoutchouteux passèrent sous ses doigts puis, instinct de conservation que la demoiselle et son corps n'avaient pas en commun, d'enrouler son bras autour de la taille musclée du coréen. Tout un enchainement de choses qui, au demeurant, ne prirent que quelques secondes, d'horribles secondes pendant lesquelles ses membres avaient même oubliés de soutenir un débat pour savoir si ils devaient retourner du côté de l'air ou non.
Qui a dit catastrophe ambulante ?